La crise des réfugiés Rohingyas

Dianova a co-organisait deux débats d’experts sur le thème de la crise des Rohingyas au siège des Nations Unies à New York

Rohingya refugees

Par Kaitlin Drape – A l’occasion de la 56ème Commission pour le Développement social, Dianova International et ses partenaires membres du Sous-comité sur la xénophobie et la promotion de l’inclusion sociale du Comité des ONG sur les migrations, organisaient le 5 février dernier deux événements parallèles consacrés à la crise des réfugiés Rohingyas. À cette occasion, les groupes d’experts ont mis l’accent sur l’aggravation de la crise des Rohingyas au Myanmar. Ces derniers font face à de nombreux actes de violence, des exécutions arbitraires ainsi qu’à des expulsions orchestrées par les autorités de leur propre pays. Près d’un million de personnes ont été déplacées. Dès le mois de février 2017, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) faisait état de violations généralisées des droits humains par les forces de sécurité du Myanmar, qualifiant ces violations de crime contre l’humanité. La situation s’est encore aggravée en août 2017 suite à une flambée de violence et au déplacement forcé de centaines de milliers de Rohingyas, en particulier vers le Bangladesh voisin.

Le premier débat d’experts intitulé « L’avenir des Rohingyas » était organisé par l’ambassade du Bangladesh et était animé par Mme Rashmi Jaipal, Haute Représentante de l’ONU et membre de l’Association américaine de psychologie. Parmi les experts figuraient M. Masoud Ben Momen, Représentant permanent du Bangladesh, M. Ashraf El Nour, Directeur du Bureau de l’Organisation Internationale pour les Migrations des Nations Unies, Mme Li Fung du HCDH, M. Ahmed Ullah, militant canadien d’origine rohingya et M. Mohamed Alkadi, représentant de l’Arabie Saoudite.

Le second groupe d’experts s’est réuni sous l’intitulé « Conflit et pauvreté : le cas des Rohingyas ». Il était animé par Mme Eva Richter, Représentante des ONG aux Nations Unies pour la fondation américaine PEACE consacrée à l’éradication de la pauvreté et à l’éducation communautaire, avec la participation de M. Arjun Jain, Conseiller principal en politiques auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), de Mme Myra Dalgaypaw, militante des droits humains, de l’État d’Arakan dans l’est du Myanmar et de M. Adem Carroll, Directeur de programmes des Nations Unies en charge du groupe de travail américain consacré au Myanmar.

La détresse des Rohingyas

À l’heure actuelle, quelque 900.000 réfugiés rohingyas vivent dans des camps au Bangladesh. Le pays tente de faire face à la crise en apportant un hébergement, de l’alimentation, des conditions de vie décentes et des traitements médicaux, tout en luttant contre la propagation des maladies. C’est une situation éprouvante pour un pays lui-même en difficulté. Les réfugiés vivent sous la tente pour les plus chanceux. Sous des bâches en plastique pour les autres. Comme l’a explique M. Jain, parfois la nourriture vient à manquer ; il existe des problèmes d’accès à l’eau potable et aux sanitaires, et les réfugiés vivent dans la crainte des maladies. Bref, la situation est très précaire. M. jain a précisé que le Bangladesh et le Myanmar avaient entamé des discussions relatives au rapatriement. C’est une bonne chose a-t-il dit, cependant les conditions qui règnent au Myanmar ne sont actuellement pas compatibles au retour des réfugiés. Selon lui, ce retour ne doit être « ni prématuré, ni précipité ». Le pays doit en particulier donner des gages afin de garantir que les Rohingyas ne seront pas regroupés dans des camps et qu’ils auront la possibilité de vivre dans des « village modèles » où ils auront la possibilité de vivre dignement et d’accéder à divers services. Il est également essentiel que le Haut-commissariat aux réfugiés et les ONG aient accès aux communautés de l’État d’Arakan afin de déterminer le degré de sécurité et le niveau de santé et de bien-être des Rohingyas.

Mme Dahgaypaw a fait partie de ces personnes déplacées. Elle a été réfugiée pendant dix-sept ans. Elle a expliqué que le Myanmar est géré par l’armée et qu’il existe une « politique gouvernementale soigneusement élaborée » visant à diviser les habitants en groupes ethniques distincts. La population est bouddhiste dans sa grande majorité, tandis que les Rohingyas sont musulmans pour la plupart. Ces derniers se sont vu interdire de posséder des terres et on leur refuse la citoyenneté depuis 1982. L’armée applique avec succès « la politique qui consiste à diviser pour mieux régner » a-t-elle souligné. « Les militaires sont tout autant à blâmer que Mme Suu Kyi. Ce sont eux les maîtres du pays ; ils sont notamment aux commandes des ministères de la Défense et de l’Intérieur. De ce fait, Mme Suu Kyi dispose de très peu de marge de manœuvre, si ce n’est au travers de l’éducation et de la santé. » Mme Dahgaypaw a souligné que le gouvernement bénéficie d’une aide internationale, mais cette aide est accaparée par les régions contrôlées par le gouvernement. Les autres n’ont rien.

M. Carroll a souligné la nécessité de comprendre les causes sous-jacentes de la marginalisation du peuple Rohingya. Bien que le Myanmar fasse l’objet d’investissements et d’une aide au développement, l’économie dirigiste qui le caractérise offre trop peu d’opportunités économiques aux communautés. Selon la Banque Mondiale, 60 millions de Birmans n’ont pas accès à un réseau électrique fiable et font face à des « conditions environnementales très difficiles ». Avant même la crise des Rohingyas, l’Etat d’Arakan avait un taux de pauvreté de 78%, soit le double de la moyenne nationale. Le point de rupture a été atteint après que le gouvernement a mis en œuvre son plan de confiscation des terres au sein de l’État d’Arakan. Ces confiscations opérées par le gouvernement sont un sujet de préoccupation qui existe depuis des décennies, a-t-il expliqué, mais l’État d’Arakan « avait jusqu’à présent échappé au radar du gouvernement dans le cadre de son plan d’allocation des terres ».

Selon le rapport du HCR, la confiscation de terres par l’armée a donné lieu à des expulsions et à un nettoyage ethnique. Et même maintenant, a reconnu M. Carroll, « le gouvernement est en train de céder les terres des Rohingyas au moment où nous parlons. »

M. Ahmed Ullah, activiste canadien d’origine rohingya, a passé les 12 premières années de sa vie dans un camp de réfugiés au Bangladesh. Il a expliqué que les aides, un rapatriement en toute sécurité et la fin des violences sexistes sont essentielles pour résoudre la crise des Rohingyas. M. Ullah a commenté l’attaque controversée de l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA) contre des postes de police dans les municipalités de Maungdaw et Rathedaung – attaque dont se sont servi les forces gouvernementales pour justifier les représailles menées dans l’État d’Arakan en août 2017. Il a admis que « l’attaque de l’ARSA n’était pas justifiée, mais qu’il s’agissait en réalité d’un prétexte pour le gouvernement. » Bien que le rapatriement constitue un objectif crucial à la résolution de la crise, les personnes décidant de revenir chez elles doivent être protégées et avoir la possibilité d’identifier les auteurs d’actes criminels commis à leur encontre, tels que le viol ou l’agression sexuelle.

S.E. M. Momen a souligné le besoin d’une approche prospective de résolution de la crise déshumanisante au Myanmar qui nécessite l’aide de l’ensemble de la communauté internationale afin de garantir la liberté de déplacement des Rohingyas déplacés au-delà des camps et de s’assurer de « la prise des engagements et la réalisation des investissements nécessaires sur le terrain au sein de l’État d’Arakan afin de permettre le retour des personnes volontaires ». Aucun Rohingya ne saurait être forcé au rapatriement contre son gré tant que la confiance n’a pas été rétablie sur le terrain. Il est essentiel que la communauté internationale s’engage à des efforts soutenus au vu des rapports continus faisant état de l’existence de charniers. « Plus la situation perdurera et plus grandes seront les menaces tant qu’une situation stable n’aura pas été atteinte. » D’après lui, le Bangladesh ne saurait constituer la seule solution par défaut en vue de la résolution de la crise au vu du « nombre même qui représente un immense défi » et du nombre important d’acteurs internationaux à mobiliser.

M. El Nour du HCDH a indiqué qu’une réponse humanitaire massive est actuellement en cours, car les équipes du HCDH mettent à jour le plan d’intervention d’urgence et ont applaudi le Bangladesh en qualité de pays hôte « qui en a fait les frais aux niveaux national et infranational ». D’importantes avancées ont été obtenues depuis le mois d’août, un grand nombre de personnel et d’importantes ressources sont sur place dans le cadre de la hiérarchisation des besoins les plus urgents avec pour objectif annoncé celui de sauver des vies. « La violence continue de sévir » et s’accompagne du danger de trafic d’êtres humains. Il a fait état de la « mise en œuvre actuelle d’évaluations de suivi » afin d’identifier les failles existantes, mais a ajouté que l’organisation doit encore examiner attentivement les « différentes raisons sous-jacentes de la crise ».

Mme Li Fung, militante du HCDH, a souligné le fait que la crise est « le résultat de décennies de dégradation des droits humains et de refus de la citoyenneté, de privation de la liberté de mouvement et de l’absence d’équité dans l’accès aux services. » Les enfants rohingyas ne reçoivent plus de certificat de naissance depuis 1990 et les Rohingyas ne peuvent pas voter, n’ont pas accès aux soins de santé ni à l’emploi. « Des actes de violence et des violations terribles les ont poussés à quitter leur pays. » Il convient donc de se pencher sur les causes sous-jacentes de la crise avant que tout rapatriement soit considéré comme avantageux pour les Rohingyas. Il convient de résoudre des problèmes critiques afin de rendre ce choix viable aux yeux des Rohingyas. « La citoyenneté et le statut juridique constitue une question centrale » et les réfugiés l’ont identifié comme un « facteur clé de leur retour ». Cependant, « il n’existe actuellement aucun signe indiquant que les conditions régnant au sein de l’État d’Arakan soient suffisamment décentes pour permettre un retour en toute sécurité. » Une solution nécessite d’aller au-delà de la simple survie et de réunir des opportunités sociales et économiques permettant une vie épanouie et l’éducation des enfants rohingyas.