Harcèlement sexuel au travail, comment aider ?

Dans le cadre du travail comme ailleurs, les victimes de harcèlement hésitent parfois à dénoncer leur agresseur. Lorsqu’on est mis au courant, comment faire pour les aider malgré tout ?

harcèlement au travail

Nous devons engager une lutte gagnante contre le harcèlement au travail en remettant en question le comportement général des employés d’une entreprise et sa culture collective, et au-delà, celle de la société tout entière.

Par Pierre Bremond – Le scandale Weinstein et dans le sillage de celui-ci les mouvements #MeToo, #NiUnaMenos ou #BalanceTonPorc ont non seulement mis la réalité des violences sexuelles et sexistes à l’agenda médiatique, mais ils ont aussi largement contribué à une prise de conscience de l’ampleur du problème, en particulier dans la sphère du travail.

Ces mouvements ont libéré la parole des femmes et permis de lever un coin du voile qui recouvre encore le harcèlement sexuel au travail, mais le tabou est encore bien présent, et il l’est  d’autant plus dans les pays qui ne disposent pas de lois contre ce type d’agression. Selon les pays, entre 20% et près de 50% des femmes ont été victimes de violences ou de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail et la majorité des cas ne sont jamais dénoncés.

Pourquoi choisit-on de ne pas dénoncer ?

Face à une telle avalanche de violences sexistes, la première chose que l’on se demande, c’est « pourquoi ? ». Pourquoi ces comportements ne font-ils pas l’objet d’une plainte, en particulier dans les pays qui ont des lois spécifiques pour y faire face ? Les réponses sont diverses. D’abord, parce que le harcèlement peut commencer par être insidieux : il commence par des remarques ou des plaisanteries à connotation sexuelle qui créent un climat embarrassant, même si la personne qui en est victime a tendance à penser que « ce n’est pas si grave ». Lorsque ces remarques deviennent plus agressives encore, il s’est déjà créé un élément de confusion et de honte susceptible de dissuader la personne de les dénoncer.

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Communiqué de presse

Il y a aussi la crainte qu’une dénonciation n’entraîne des difficultés au travail, voire un possible licenciement. Les personnes peuvent craindre de voir leur parole mise en doute par leurs collègues ou leurs superviseurs. Elles peuvent légitimement redouter de voir leur carrière brisée. Théoriquement, les victimes sont protégées par la loi, mais il y a toujours la possibilité que la plainte se retourne contre elles. Certains cas peuvent aussi créer un traumatisme  et un sentiment de honte chez les victimes, qui les empêche de verbaliser ce qu’elles ont subi. Enfin, le statut de ‘victime’ en lui-même représente un frein à la dénonciation : les personnes refusent de se voir en tant que telles et préfèrent rester silencieuses plutôt que d’avoir à souffrir les conséquences à court terme qu’il y a à dénoncer le harcèlement.

Accompagner, sans culpabiliser

Imaginons un cas fictif. Juliette, 30 ans, fait partie d’une entreprise d’une trentaine de salariés. Depuis plusieurs semaines, elle subit les commentaires et les invitations de son superviseur – invitations toujours déclinées. Il insiste, lui envoie des mails et des SMS pour lui demander la couleur de ses sous-vêtements. Il fait des commentaires sur ses jambes, son décolleté, son rouge à lèvres « qu’il aimerait bien goûter » et il y a quelques jours il lui a caressé les fesses au détour d’un couloir. Il demande à ce qu’elle l’accompagne lors d’un prochain déplacement professionnel et il parle de partager une chambre d’hôtel car « l’entreprise doit faire des économies ». Son comportement est de plus en plus insistant, à tel point que Juliette n’ose plus être seule avec lui. Elle a maigri, ne se maquille plus, ne met plus de robes alors qu’elle aimait en porter régulièrement. Elle arrive de plus en plus tard au bureau, elle n’a plus la tête à son travail et son rendement s’en ressent.

Juliette décide de se confier à Luigi, un collègue avec qui elle s’entend bien et qui s’inquiète pour elle. Elle lui raconte tout ce qu’elle vit depuis des semaines, mais elle insiste : il ne doit en parler à personne. La première chose à montrer à Juliette, c’est de la bienveillance ; cela peut sembler du simple bon sens, mais il est très important que la victime se sente réconfortée, sans que l’on mette ses propos en doute. Il faut aussi à tout prix éviter de minimiser les faits qu’elle a vécus ou de la culpabiliser en lui disant par exemple qu’elle aurait dû réagir de telle ou telle façon. Après la bienveillance, il est utile de qualifier les faits en lui rappelant qu’il s’agit bien de harcèlement sexuel, donc un délit. Dans le cas de la main aux fesses, il s’agit même d’une agression sexuelle.

Pour rappel, dans la plupart des pays qui en disposent, les lois sur le harcèlement sexuel répriment le fait d’imposer à autrui des comportements à connotation sexuelle, via le langage verbal, non verbal ou par écrit, visant à obtenir des relations sexuelles, malgré les refus répétés de la personne qui en est victime. On parle d’agression sexuelle pour désigner toute tentative d’accéder au corps d’une personne de manière sexuellement explicite, sans son consentement, en utilisant la violence ou la surprise. Certains pays ne font pas la distinction entre agression sexuelle et viol ; ils considèrent ce dernier comme la forme la plus grave de l’agression sexuelle. En revanche, d’autres pays stipulent que tout acte de pénétration sexuelle, quelle qu’en soit la nature, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol.

Conserver une trace écrite du témoignage

Luigi, le confident, doit jouer le rôle de conseiller, tout en respectant le souhait de confidentialité de la personne. Il peut par exemple lui recommander d’en parler au médecin du travail ainsi qu’à des amis et à des proches susceptibles d’être les témoins de son angoisse ou de la dégradation de son état de santé. Il faut expliquer que le fait de constituer un dossier de témoignages et de certificats peut aider, par la suite, à consolider les éventuelles démarches judiciaires, même si la personne n’est pas prête pour l’instant à dénoncer le harcèlement subi. Il ne faut en aucun cas aller plus vite que ‘Juliette’. Si elle n’est pas prête, il faut respecter son choix et ne pas agir d’une manière qui pourrait lui être préjudiciable (par exemple, ne pas aller directement confronter son agresseur).

Selon les entreprises, il existe des représentants syndicaux qui peuvent lui venir en aide en la conseillant sur ses droits. Ce rôle peut aussi être joué par des permanences syndicales externes ou par des associations de soutien aux femmes victimes de violences. Ces associations disposent du concours d’avocats bénévoles ou salariés qui peuvent l’accompagner dans ses démarches, qu’il y ait dépôt de plainte ou non.

Il est aussi toujours utile de conserver une trace écrite du témoignage. En premier lieu, il faut inviter Juliette à conserver toutes les traces du harcèlement présumé : SMS, emails, photos éventuelles, voire enregistrements. Le confident peut aussi prendre lui-même des notes ou demander à Juliette à dresser un rapport écrit sur tous les événements de cette nature, en incluant les lieux, les dates et la description précise de ce qui s’est passé. Si une enquête est ouverte, toutes ces traces écrites ou enregistrées pourront servir d’éléments de preuve. Même si c’est Luigi, le confident, qui apporte ces preuves, celui-ci a été le témoin direct de la souffrance de sa collègue durant des semaines et même des mois. Il l’a connue gaie et souriante, toujours bien habillée et en confiance et petit à petit il l’a vue changer et s’étioler ; elle a perdu du poids ou au contraire elle a grossi, elle s’isole, éclate en sanglots, ne se maquille plus, s’habille n’importe comment, son caractère a changé, elle est devenue dépressive ou colérique, ne supporte plus une remarque, etc. Les confidences qu’elle fait à Luigi jettent une lumière nouvelle sur les changements constatés : même si Luigi n’est que témoin indirect des violences subies par Juliette, son témoignage pourra être pris en compte s’il y a une enquête.

Comment agir tout en respectant la volonté d’anonymat?

En se confiant à Luigi, Juliette a entamé un processus. Elle est parvenue à briser la camisole mentale dans laquelle elle est enfermée du fait de harcèlement dont elle est victime. Pour elle, c’est déjà un premier pas. Et même si elle exige de Luigi qu’il n’en parle à personne, celui-ci, en tant que dépositaire des confidences de Juliette, sait très bien que ces confidences sont autant d’appels à l’aide. Il doit donc agir. Mais comment faire tout en gardant la confidentialité demandée par Juliette ?

Dans certains cas, cela peut aider, dans d’autres non, car il est difficile d’amener certaines personnes à voir ce qu’elles ne veulent pas voir.

Pour Luigi, il est plus utile de demander à Juliette si elle l’autorise à en parler à une personne responsable (des ressources humaines par exemple), tout en conservant son anonymat, même si dans une petite société de trente salariés, c’est forcément plus difficile que dans une grande entreprise. Si elle accepte, Luigi peut présenter le problème à ce responsable en soulignant qu’il ne peut pas révéler de qui il s’agit. Il peut lui proposer d’organiser avec tous les employés une réunion d’information et de prévention du harcèlement en milieu de travail à l’issue de laquelle le responsable se montrera disponible à en parler en privé à quiconque en fait la demande.

L’intérêt de cette démarche est que l’employeur, par l’intermédiaire de son représentant du personnel, est désormais au courant d’une situation de harcèlement concernant deux de ses employés. En fonction de la législation des pays, ce même employeur peut avoir par conséquent l’obligation de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés, en faisant cesser la situation. Le problème est que si l’entreprise prend ses responsabilités, dans le cas spécifique de la petite entreprise de 30 salariés, il est très probable que l’anonymat de Juliette soit rapidement levé, ce qui amène forcément Luigi à un questionnement moral concernant l’opportunité de sa démarche. C’est une affaire de conscience et lui seul a la réponse.

Les milliers de témoignages de victimes qui ont été postés sur les réseaux sociaux depuis un peu plus d’un an ont permis de sensibiliser le grand public à la souffrance et à l’isolement de ces femmes. Elles ont été le plus souvent les victimes d’un système fait de silences et de de non-dits, même si dans la plupart des cas, « tout le monde savait ». Tout le monde savait en effet qu’untel avait des comportements déplacés, et « qu’il valait mieux de pas se retrouver seule avec lui ». Il faut dépasser le « tout le monde savait ».

Nous devons engager une lutte gagnante contre le harcèlement au travail en remettant en question le comportement général des employés d’une entreprise et sa culture collective, et au-delà, celle de la société tout entière.

C’est une responsabilité collective que nous devons construire tous ensemble.