Promouvoir une approche sexospécifique des drogues

Recommandations du Forum de la société civile sur les drogues sur l’importance de promouvoir l’égalité des sexes pour parvenir à une approche équilibrée du phénomène des drogues

Forum de la société civile sur les drogues

La réalisation de l’ODD 5 sur l’égalité des sexes exige que les politiques et programmes de lutte contre la drogue adoptent une composante sexospécifique afin de garantir que les femmes ne soient pas laissées pour compte dans les efforts de contrôle du marché des drogues illicites.

Le Forum de la société civile sur les drogues (CSC) est une plateforme de dialogue entre la Commission et la société civile européenne. Son objectif est de soutenir la formulation et la mise en œuvre de politiques par le biais de conseils pratiques. Dianova International est membre du Forum depuis 2016 et en tant que tel, notre représentante a participé aux réflexions qui sont à l’origine du présent document.

(Extraits du document – lire la version complète en anglais)

Le segment ministériel de la 62ème session de la Commission des stupéfiants (CND) se tiendra quelques jours seulement après le plus grand événement mondial sur l’égalité des sexes, la Journée internationale de la femme (IWD), le 8 mars. Le Forum de la société civile sur les drogues (CSFD) saisit cette occasion pour souligner la nécessité pour les politiques mondiales en matière de drogues d’accorder une attention particulière aux femmes et à la promotion et la défense de leurs droits. (…)

À l’aide de la structure du document final de l’UNGASS, le CSFD souhaite formuler des recommandations spécifiques qui, nous l’espérons, pourront être utiles pour soutenir les positions de l’Union européenne lors du débat ministériel et de la 62ème session de la Commission des stupéfiants.

1. Réduction de la demande et mesures connexes

Les femmes qui font usage de drogues rencontrent d’importants obstacles systémiques, structurels, sociaux, culturels et personnels pour accéder aux services de réduction des risques et des méfaits, de traitement des addictions, de réhabilitatin et de réadaptation, ainsi qu’à d’autres services tels que ceux de garde d’enfants, de santé sexuelle et reproductive et de santé mentale. (…)

Au niveau de la stratégie mondiale en matière de drogues après 2019, le CFSD recommande aux  États membres de:

  • Promouvoir un meilleur accès à une gamme complète d’interventions de santé adaptées aux femmes faisant usage de drogues, notamment aux services de prévention, de traitement des addictions, de réhabilitation et de réadaptation, aux services de réduction des risques et des méfaits et au traitement des risques de santé liés aux drogues (comme le VIH, l’hépatite, les surdoses, etc.) et les comorbidités. Les services doivent également cibler les autres problèmes de santé auxquels les femmes qui utilisent des drogues peuvent être confrontées, notamment les problèmes de santé mentale, les grossesses non désirées, les risques et les préjudices liés à l’usage de drogues pendant la grossesse, ainsi que les problèmes sociosanitaires des mères et des nouveaux-nés.
  • Promouvoir un meilleur accès à un ensemble de services sociaux afin de remédier aux vulnérabilités socio-économiques souvent rencontrées par les femmes qui font usage de drogues, notamment au plan du logement, des transports, de l’éducation, de la prise en charge des enfants et du soutien aux revenus, car il est démontré que ceci peut contribuer à un meilleur engagement dans le traitement, la rétention en traitement, ainsi qu’à l’amélioration des résultats du traitement.
  • Améliorer la formation des personnels travaillant dans les services d’addiction sur la prise en compte de la perspective sexospécifique, afin de mieux comprendre comment traiter les différents problèmes auxquels sont confrontées les femmes qui font usage de drogues, y compris la violence sexiste et la santé mentale, en coopération avec d’autres services spécialisés dans la prévention de la violence et la garde d’enfants.
  • Combattre la discrimination et la double stigmatisation associée à la consommation de drogue chez les femmes (tant pour l’usage de drogues que pour le fait d’être femme) afin de faciliter l’accès aux services en matière de drogues, notamment les services de réduction des risques et dommages, de traitement, de réadaptation et de rétablissement, conformément à la Résolution 61/11.14 de la CND.
  • Assurer une meilleure implication des populations touchées, y compris les femmes qui utilisent des drogues, dans la conception et la mise en œuvre des politiques et des programmes en matière de drogue, comme indiqué dans le document final de l’UNGASS. (…)

2. Améliorer l’accès aux médicaments sous contrôle

Assurer la disponibilité des substances sous contrôle international à des fins médicales et scientifiques est l’un des objectifs fondamentaux des conventions des Nations Unies sur les drogues, comme le reconnaît le document final de l’UNGASS. Et pourtant, la disponibilité et l’accessibilité des opiacés pour le soulagement de la douleur et autres symptômes restent extrêmement bas. On estime que 5 milliards de personnes vivent dans des pays où l’accès aux médicaments contrôlé est faible ou inexistant, que 80% de la population mondiale se voient refuser l’accès aux opiacés et que seuls 0,03% de la production totale de morphine est disponible dans les pays à faible revenu.

Les femmes sont particulièrement touchées par ce problème: les 110 millions de femmes qui chaque année donnent naissance n’ont pas accès à la prise en charge de la douleur, non plus que les 300 000 femmes qui meurent chaque année des suites de complications liées à la grossesse et à l’accouchement. (…)

Pour ces raisons, le CSFD recommande aux Etats membres de l’ONU de:

  • S’engager à garantir un accès adéquat et abordable aux médicaments sous contrôle à des fins médicales, notamment pour le soulagement de la douleur, les soins palliatifs et le traitement des maladies, en particulier en faveur des femmes.
  • Sensibiliser davantage les professionnels de la santé à l’utilisation correcte des opiacés afin de garantir que les patients en situation de souffrance, dont les femmes et les enfants, soient pris en charge de manière efficace, sûre et rapide.
  • Aider les pays à appliquer les réglementations nationales en matière de contrôle des médicaments sur la base des recommandations de l’OMS de 2011 afin de garantir que l’accessibilité et la disponibilité des médicaments sous contrôle à des fins médicales et scientifiques – en particulier les analgésiques opiacés – ne soient pas indûment restreintes.
  • Promouvoir une révision des stratégies nationales de santé pour la sclérose en plaques, le cancer, le VIH/sida et d’autres affections, afin d’assurer que celles-ci répondent au besoin d’une gestion efficace de la douleur et des soins palliatifs.

3. Drogues et droits humains, jeunesse, enfance, femmes et communautés

Les femmes subissent des violations spécifiques des droits humains en raison de politiques antidrogues non conformes aux conventions des Nations Unies sur le contrôle des drogues et les droits humains, à la Déclaration politique de 2009 et moins encore au document final de l’UNGASS 2016 plus récent. (…)

Conscients de ces problèmes, nous appelons les États membres de l’ONU à:

  • Élaborer et mettre en œuvre des politiques en matière de drogue de manière non discriminatoire, conformément au droit international, afin de répondre aux besoins des femmes et des filles, ainsi que d’autres groupes vulnérables tels que les minorités ethniques, les communautés LGBTQ +, les groupes autochtones, les enfants et les jeunes.
  • Réaffirmer les droits en matière de santé sexuelle et reproductive en tant que droits humains essentiels à la réalisation d’un développement durable transformateur prenant en compte les dimensions sociale, économique et sociétale – conformément à l’ODD 5 relatif à l’égalité des sexes.
  • Renforcer la collecte systématique et coordonnée de données, ainsi que l’analyse et l’utilisation de données ventilées par sexe, âge, orientation sexuelle et identité de genre, handicap, lieu de résidence, appartenance ethnique, revenu et d’autres facteurs, afin de suivre et d’évaluer efficacement les progrès accomplis en matière de droits humains. politiques antidrogue, à l’aune des normes en matière droits humains.
  • Promouvoir la recherche sur les problèmes associés aux femmes, à l’usage de drogues et au développement, afin d’obtenir une vue d’ensemble de ces problèmes et concevoir des politiques visant à y faire face de manière adéquate. (…)

4. Réduction de l’offre et mesures connexes

Les faits montrent que la plupart des femmes impliquées dans des activités liées au marché des drogues illicites sont motivées par la pauvreté et la nécessité économique. Pourtant, les femmes constituent la population carcérale à la croissance la plus rapide, en raison de mesures de contrôle des drogues inadéquates car ciblant les infractions de faible intensité (dans lesquelles la plupart des femmes sont impliquées), une approche non conforme aux recommandations de l’UNGASS. (…)

Pour ces raisons, nous exhortons les États membres à prendre en compte les recommandations suivantes:

  • Garantir des peines plus proportionnées pour les infractions en matière de drogue, tenant compte des vulnérabilités spécifiques des femmes (par exemple, le fait d’être à charge d’enfants ou d’autres personnes, d’avoir des antécédents d’abus physique ou psychologique, d’usage de drogues, etc.), et avoir davantage recours à des alternatives sexospécifiques à l’incarcération, plutôt qu’à la prison. Les solutions alternatives doivent inclure des opportunités d’éducation et de formation susceptibles de contribuer à réduire le nombre de femmes impliquées dans le trafic de drogues en raison d’un manque d’opportunités d’emploi, d’éducation ou faisant face à d’autres formes de vulnérabilité.
  • Protéger les femmes victimes de la traite des êtres humains forcées de participer au trafic de drogue.
  • Envisager un recours à des approches de justice réparatrice pour les infractions liées aux drogues et les contextes de conflits communautaires liés aux drogues.
  • Adopter de nouveaux indicateurs de succès, axés sur des résultats tels que la réduction des activités criminelles, un meilleur accès à des services efficaces de prévention, de réduction des risques et des préjudices, de traitement et de rétablissement fondés sur des données factuelles, une réduction de la violence et de la corruption liées au marché de la drogue, un meilleur accès aux services essentiels. médicaments, etc.

5. Évolution de la réalité, tendances et situation actuelle, défis et menaces émergents et persistants, dont les nouvelles substances psychoactives

Selon le Rapport mondial sur les drogues de l’UNODC, 2018, l’utilisation de nouvelles substances psychoactives (NSP) est en augmentation.Lorsque ces substances sont injectées notamment, elles peuvent présenter des risques majeurs pour la santé des usagers de drogues. Étant donné que les femmes qui utilisent des drogues sont particulièrement vulnérables à ces risques de santé, le CSFD recommande que les politiques en matière de drogue:

  • Soient fondées sur des approches centrées sur la personne, tant au plan de la  conception que de la prestation des services afin de s’assurer que les besoins des femmes (par exemple en matière d’itinérance, de santé mentale, d’usage des NSP) soient correctement pris en compte.

6. développement

Dans les zones où existent des cultures destinées au marché des drogues illicites, des familles et des communautés entières sont généralement engagées dans une agriculture de subsistance. Cependant, en raison d’inégalités de genre enracinées, les femmes sont généralement les plus défavorisées et n’ont pratiquement pas d’accès au salaire, à la propriété foncière, à l’éducation, à des services de santé ou à d’autres possibilités d’emploi. (…)

Conscients de ces problèmes, nous encourageons les politiques en matière de drogue à:

  • Inscrire les programmes de développement alternatif dans une approche plus large du développement durable en mettant l’accent sur la réalisation des objectifs de développement durable et en particulier sur les femmes, incluant les objectifs: de réduction de la pauvreté,inclusion sociale, meilleur accès aux marchés légaux, protection de l’environnement, développement durable, développement des infrastructures de base, éducation, protection sociale, accès au logement et possibilités d’emploi.
  • Mettre fin aux épandages aériens, solution qui s’est révélée inefficace et nocive pour la santé et l’environnement.
  • Veiller à ce que les programmes de développement durable ne se concentrent pas uniquement sur les zones rurales des pays producteurs, mais également sur les zones urbaines des pays producteurs, de trafic et de consommation, où la lutte contre le trafic de drogue nécessite un programme de développement complet axé sur la réduction de la pauvreté et le renforcement de la communauté, la résilience et la solidarité, en particulier pour les femmes en situation de vulnérabilité.
  • Rappeler aux États membres leur obligation de réaliser les objectifs de développement durable et assurer une plus grande implication du Programme des Nations Unies pour le développement et d’ONU Femmes dans la politique mondiale en matière de drogues.
  • Assurer la participation significative des communautés concernées, y compris les femmes, à la conception et à la mise en œuvre des programmes et des politiques qui les concernent.
  • Établir de nouveaux indicateurs à long terme pour les programmes de développement alternatif basés sur l’Indice de développement humain.

7. Renforcement de la coopération internationale

Une coopération étroite entre les pays et les agences des Nations Unies est essentielle pour mettre en œuvre des politiques sexospécifiques en matière de drogues. Nous appelons en particulier à une participation systématique et significative de toutes les agences des Nations Unies concernées aux débats mondiaux sur les politiques en matière de drogues, en particulier ONU Femmes, UNICEF, OMS, ONUSIDA, HCDH, PNUD et d’autres.